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Rencontre avec le collectif Libertalia

Focus

Le 24 novembre prochain aura lieu au Centre culturel Jacques Franck le spectacle 1 porté par les usagers du CPAS de Saint-Gilles et mis sur pied avec l’expertise du collectif Libertalia. Un nouveau projet qui scelle près de 10 années de collaboration entre ces deux structures. L’occasion de prendre le temps en compagnie de deux des dix membres de l’équipe - Marine Haelterman et Robin Carton – afin d’en apprendre plus sur ce collectif et sur ce projet qu’ils accompagnent.


Vous insistez sur le terme de » comédien-animateur « , qu’est-ce que cela veut dire ? Est- ce une particularité de Libertalia ?

Robin : Nous avons deux volets principaux chez Libertalia. D’une part - comme pour une compagnie de théâtre classique - on crée des pièces qu’on fait tourner. D’autre part, on fait des créations collectives avec des groupes de comédiens non professionnels. On construit la pièce avec eux. Il y a des éléments de rencontre, des outils de théâtre, des consignes d’improvisation qui vont faire sortir de la matière - un thème, /une situation/un sujet - qui sera porté sur scène collectivement. D’où le métier de comédien-animateur : on leur donne les outils, on les accompagne mais ce n’est pas nous qui sommes sur scène pour porter une parole, c’est le groupe. On vient bien sûr mettre un peu de notre couleur, c’est un travail collectif.

Marine : Je préciserai que ce n’est pas un terme qui appartient juste au collectif Libertalia mais au mouvement du Théâtre Action en Belgique qui a toute son histoire.

Robin : Oui, c’est un mouvement qui est très étendu, un « label » qui regroupe quelque chose de commun même si chaque compagnie a sa manière de voir ce qu’est le théâtre-action.


Toute l’équipe participe donc à ces deux volets ?

Marine : Oui et ça pour le coup, je pense que c’est propre au fonctionnement du collectif et à l’historique de l’association. On a cette volonté de fonctionner collectivement. Nous sommes une structure horizontale. Il y a de fait une gestion administrative et une coordination générale mais là aussi tout le monde s’en mêle et les décisions sont prises de manière collégiales

Robin : Il y a des gens qui viennent du théâtre et d’autres du social. C’est très nourrissant. On apporte des expériences différentes au sein du groupe

Marine : Oui, ça croise les expériences. Une autre spécifié du collectif c’est qu’on travaille toujours en binôme. Ce qui nous permet d’avoir ce regard croisé sur la démarche, le processus et le contenu qui émerge.


Pourquoi ce nom « Libertalia » ?

Marine : on fait référence à une île, une île de pirates. Pour certains, elle a existé ; pour d’autres c’est un fantasme. Des esclaves venant d’origines multiples se seraient rebellés contre les autorités qui les géraient y auraient fait naufrage pour créer un « autre monde ».

Robin : Oui, c’est la légende. Moi, je ne savais pas que c’étaient des esclaves mais l’île existe, elle est avérée. L’idée, c’est que c’est une île où à un moment une utopie s’est construite avec une vie communautaire qui remettait le système de l’époque.

Marine : ça révèle assez bien l’identité du collectif parce que nous essayons de lutter contre toutes sortes de frontières qu’elles soient physiques ou relationnelles

Robin : …et puis cette idée de secouer le panier jusqu’à la racine, ça nous parle.

Quels sont les groupes avec lesquels vous travaillez ?

Robin : Ils sont très différents. Actuellement, on travaille donc avec un groupe de la cellule culture du CPAS de St-Gilles. Ces dernières années, nous avons accompagné des étudiants futurs assistants sociaux, des élèves en situation de décrochage scolaire, des jeunes de maisons de jeunes, des personnes migrantes, des bénéficiaires d’aide sociale... tout est possible. L’idée est d’amener une parole sur scène porté par des groupes de gens qui souvent n’ont pas ou peu d’espace de parole sur le domaine public.

Quelle est la spécificité de ce que vous proposez avec ces groupes ?

Marine : Pour moi, ce qui est fondamental, c’est le processus de la création collective. La parole quel qu’elle soit est portée collectivement et vient de la rencontre de chaque individu.

Robin : oui et si je peux ajouter quelque chose je dirai que le théâtre est vraiment un bel outil… Il a cette merveilleuse possibilité de mettre de la distance. Dans le groupe, on peut parler de ce qui peut être brûlant pour nous mais on va y mettre de la distance pour sortir du témoignage brut en utilisant l’humour ou en faisait jouer ce que l’on vit par quelqu’un d’autre par exemple.

A quoi peut-on s’attendre le 24 novembre ?

Marine : On mène des ateliers une fois par an avec le CPAS de Saint-Gilles. Il y a une différente formule à chaque fois et cette année, on a choisi de proposer celle du théâtre forum 2.

Robin : L’idée c’est de construire une pièce courte (10 min) qui se termine mal. Il y a un protagoniste principal - l’oppressé - qui se ne débrouille pas bien, qui n’a pas les bonnes idées ou réactions face aux autres – les oppresseurs qui coincent la situation. Ça va de mal en pis pour se terminer de manière catastrophique. On joue cette pièce une 1ere fois pour le public. Il y a un personnage particulier qui s’appelle le joker qui est un animateur dont le rôle est de faire le lien entre ce qui se passe sur scène et dans la salle. Après cette 1ére fois, il va interpeller le public en lui demandant ce qui devrait se passer pour que l’issue soit différente. Quelqu’un fait une proposition et est invité à monter sur scène pour la jouer. On ne remplace pas les oppresseurs. L’idée est, depuis la place de l’opprimé, d’arriver à faire autrement. A la fin de chaque proposition, le joker va mettre des mots sur ce qui s’est passé pour voir ce qui a fonctionné ou pas et ainsi de suite pendant une heure. L’invitation, c’est d’avoir un débat dans le corps. C’est un outil de théâtre extrêmement puissant.

Les oppresseurs doivent donc s’adapter aux propositions du public ?

Marine : oui, on a joué avec eux plusieurs situations possibles. Et puis, le spectacle est écrit et les personnes/ oppresseurs ont leurs raisons sur lesquelles tout.e.s les participant.e.s vont s’appuyer.

Robin : oui en effet, c’est un métier (rire) et un beau challenge pour eux !


Plus d’infos : www.collectif-libertalia.be

1 Dans le cadre du forum sur « la place de l’usager dans le travail social » organisé par le CPAS de Saint-Gilles

2 Le théâtre-forum est une méthode de théâtre interactif, mise au point dans les années 1960 par l'homme de théâtre brésilien Augusto Boal, dans les favelas de São Paulo. Le théâtre-forum est une des formes du « théâtre de l'opprimé » conceptualisé par Boal comme étant un théâtre qui « est fait par le peuple et pour le peuple »